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LA
CONDAMNATION |
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Ca tanguait, ça roulait.
On entendait le bruit du moteur du camion, les changements de vitesse,
les accélérations, les freinages.
Il régnait une chaleur lourde, étouffante dans la
citerne où nous étions toutes deux enfermées.
Cela puait. Nos odeurs corporelles se mêlaient à des
relents de gazole et de vieille rouille.
Les cahots nous jetaient l'une sur l'autre, nous cognaient contre
les parois, nous arrachant à chaque fois des gémissements.
J'avais mal partout et j'étais trempée de sueur.
J'ouvrais, je fermais mes cuisses pour soulager mon sexe torturé.
A chaque inspiration la pince s'incrustait davantage dans mon mamelon.
Mais c'était surtout mes mains. Mes poignets garrottés
sévèrement me brûlaient et je ne pouvais plus
bouger les doigts.
Je m'y efforçai pourtant. Et peu à peu j'y arrivai.
En gémissant.
Mes cheveux collaient à mon visage, à mes yeux, me
faisaient pleurer et j'essayais parfois de les chasser en soufflant,
en les poussant avec mes genoux. Sans grand résultat.
Le spectre de l'avenir hantait mon esprit.
Nous avions parlé la femme et moi. Un peu.
Mais nous étions trop épouvantées pour échanger
autre chose que des banalités.
Un silence soudain !
Des voix assourdies.
- … les terroristes ! Exposez les sur la Place des Châtiments.
Elles seront jugées ce soir en tribunal public…
Nous fumes précipitées en arrière quand le
camion redémarra. Puis vers l'avant quand il freina.
Un temps. Un silence.
Des mouvements. Un choc métallique là-haut.
Le soleil qui pénétrait soudain la citerne m'aveugla.
- Passez votre cou dans les cordes. Schnell !
Nous hésitâmes, la peur nous paralysant.
- Oh les putains… Pardon ma sœur. Grouillez. Il y a une
lance d'arrosage et je remplis la citerne si vous ne bougez pas
votre cul.
Nous obéîmes. C'était difficile, la corde se
dérobait mais j'y arrivai.
- Vas-y Karl. Hisse-moi ça.
J'eus le temps de prendre une grande respiration avant que le nœud
ne se resserre, que la corde ne me soulève en m'étranglant.
Le soleil commençait à baisser, à rougeoyer.
J'étais au-delà de l'épuisement. La peau me
brûlait d'être restée ainsi toute la journée,
en plein soleil. J'avais la gorge comme du cuir et je ne distinguais
plus que de vagues formes floues à travers la sueur, le sel,
les larmes qui brouillaient ma vue. Ils nous avaient lavées
au jet, arrosées régulièrement. J'avais réussi
à laper quelques gouttes d'eau mais cela n'avait été
que bien peu pour calmer les ardeurs du soleil, pour apaiser la
soif qui parcheminait ma bouche.
Après nous avoir extraites de la citerne, ils nous avaient
hissées, toujours par le cou, sur ces tréteaux étroits.
Ils avaient tendu la corde nous juchant au plus haut, sur le bout
des doigts de pieds, suspendues par le cou et par ce nœud coulant
qui entravait notre respiration sifflante.
J'avais glissé plusieurs fois (avec peut-être inconsciemment
le désespoir d'en finir une fois pour toutes) mais un garde
était là.
Qui m'avait remise en position à coups de matraque sur les
mollets.
Le soleil avait disparu. L'obscurité, le vent du soir nous
apportaient quelque fraîcheur.
Il y eut des mouvements, des murmures, des bruissements.
Des projecteurs illuminèrent soudain le gibet et nos corps
suppliciés.
Je sursautai quand la lumière m'éblouit mais j'aperçus
des gens alignés devant nous.
Des femmes et des hommes en tenue de travail. Puis un personnage
en costume de ville s'approcha, s'interposa entre ces gens et nous.
Des gardes apparurent, s'immobilisant de part et d'autre de l'échafaud.
L'homme saisit un microphone, s'éclaircit la voix :
- Mes amis ! Je sais que vous êtes épuisés mais
heureux d'avoir ardemment œuvré pour le bien de notre
communauté.
Pourtant ce soir, il nous faut rendre un jugement équitable.
Il nous faut décider si nous accueillons parmi nous ces
deux femmes égarées sur la voie du péché.
Le verdict de chacun sera le nôtre.
Celle-ci a gravement péché. Sous la robe de la sainteté,
s'est glissé le démon du mensonge et du parricide.Cette
créature perdue a œuvré pour assassiné
notre père à tous, notre glorieux Président
qui se dévoue corps et âme pour notre Patrie. Cette
créature a reconnu, sans honte aucune, sa volonté
criminelle et sournoise d'abattre notre bien aimé chef.
Qu'en pensez-vous mes amis ? Cette créature peut-elle racheter
par le labeur, ses crimes impardonnables ?
Je ne le pense pas mes amis ! Et vous ?
Un grondement parcourut la foule et elle rugit :
- Non !
Soit. Elle paiera donc. Votre jugement est le nôtre et c'est
un bon jugement. Mais avant d'appliquer votre sentence, il nous
faut décider ce qu'il adviendra de celle-ci. C'est une fille
de Jérusalem, une catin juive. Elle voulait calomnier notre
bien aimé Président dans un de ces infâmes journaux
judéo-communistes. Nous avons pu heureusement mettre fin
à son abominable dessein. Cette créature a avoué
ses sinistres intentions.
Mes amis ! Cette créature mérite-t-elle de se racheter
par le labeur salvateur ? Je le pense mes amis. Et vous aussi mes
amis ?
De nouveau ces gens rugirent et il me sembla que le gibet tremblait
:
- Oui !
- Mes amis ! Cette pécheresse doit néanmoins être
châtiée. Je le pense. Et vous le pensez aussi ?
- Oui !
L'air vibra de nouveau. Ces criminelles dont ils parlaient, c'était
moi, c'était nous.
Et l'homme parla de nouveau. La voix amplifiée, terrible,
résonnant sur les hauts murs, énonça la sentence.
Dieu ! Il parlait de moi.
-Soit. Son crime mérite un triple châtiment. Dès
ce soir, mes amis, elle sera flagellée sur la plante des
pieds. Afin de lui ôter toute tentation de fuir. Cela est-il
un juste premier châtiment ?
- Oui !
Demain matin mes amis, vous punirez la catin qu'elle est en flagellant
ses parties honteuses. Ce second châtiment vous semble-t-il
juste mes amis ?
- Oui !
Et dès demain soir elle vous servira mes amis. Libre à
vous d'utiliser cette catin comme bon vous semble. Mes amis ! Sera-t-elle
ainsi justement châtiée ? Je le pense mes amis. Et
vous ?
- Oui !
Soit. Votre jugement est le Nôtre. Et c'est un bon jugement.
Mes amis, il est temps maintenant d'appliquer les sentences. Que
la criminelle odieuse paie immédiatement.
Le gibet oscilla soudain. La corde vibra horriblement. Je vacillai
sur mes jambes épuisées, retrouvai mon équilibre.
Dieu d'Israël, ayez pitié. A la limite de mon champ
de vision, je voyais la pauvre femme battre des jambes, chercher
le point d'appui qu'elle n'avait plus. Je l'entendais grogner, râler.
Des bruits immondes.
Ses soubresauts désordonnés provoquaient un léger
courant d'air qui me glaça.
Je me mis à trembler de froid, de peur. Les vibrations du
gibet allèrent en décroissant. Peu à peu. Les
bruits s'affaiblirent, un liquide coula sur le sable puis ce fut
le silence. Terrible. Je pleurais doucement, désespérée.
- Mes amis, la juste sentence a été appliquée
et la criminelle a été châtiée à
la mesure de ses crimes. Prions mes amis pour son âme perdue.
Un temps. Ils priaient. La pauvre femme tournait doucement sur
elle-même.
Je crus qu'elle me regardait. Oh… son
regard vide, son visage grimaçant… Je fermais les yeux.
- Bien. Agenouillez la condamnée afin qu'elle reçoive
humblement son premier châtiment.
La corde se détendit, je vacillai. Le nœud coulant se
resserra alors qu'ils me tirait en arrière. Mes pieds perdirent
leur appui, je me sentis descendre. Mais ils me retenaient, guidaient
mes cuisses et mes jambes. Mes genoux heurtèrent le bois
des tréteaux.
Ils m'agenouillèrent dessus.
Ils s'activèrent sur le nœud coulant, le descendant,
le bougeant, le resserrant. J'en ressentais maintenant la rude emprise
à la base de mon cou. Ils me garrottaient mais sans m'étrangler.
L'autre extrémité de la corde, passant dans le crochet
de l'échaffaud fut attachée à mes poignets
Je vacillais d'avant en arrière, je
me penchais, je me redressais cherchant un équilibre précaire
entre l'étranglement et ce qui me semblait le déboîtement
de mes épaules, quand une voix cria "Derecha"
(Droite) .
Un sifflement et le premier coup cisailla mon pied droit. La douleur
aiguë me fit soulever le genou et je basculai. La corde me
retint, m'étrangla. Je couinai. Les bourreaux me remirent
d'aplomb.
- Ne bouge pas putain. Nous ne te rattraperons pas la prochaine
fois.
- Senestra.
La badine cingla mon pied gauche.
- Derecha !
La badine cingla mon pied droit.
- Senestra…
"Derecha ! Senestra !" Les coups
alternaient sur mon pied droit, sur mon pied gauche.
Malgré la corde qui m'étranglait,
je criais.
Combien de temps cela dura-t-il ? Je ne m'en
souviens plus. Comme j'ai oublié le nombre de coups.
La corde.
Elle m'étranglait. Encore !
Il me semblait que mes pieds n'existaient plus. Qu'ils avaient été
coupés ou arrachés. Seul mon cou garrotté était
douleur, brûlure.
Je reprenais conscience peu à peu.
Quelque chose forçait mon anus, s'enfonçait en moi.
De plus en plus profond.
On me laissait descendre, on écartait mes cuisses, on me laissait
m'empaler.
Je serrai les jambes, tentai de trouver un appui.
Cela mordit mes pieds qui revinrent à la vie. Soudain.
Je lâchai tout : la chose infâme me défonça
les reins.
J'essayai de reprendre appui, j'essayai de me soulever. En vain.
La corde me tenait par le cou et les poignets. Les griffes du pal
déchiraient les chairs à vif de la plante de mes pieds.
Je m'arquais, le noeud coulant se resserra mais l'enfoncement cessa.
Les gardes m'avait parlé mais je ne les avais pas entendu.
Le grondement de l'air qui se frayait un chemin vers mes poumons
m'en avait empêchée. Dans le brouillard noir qui engluait
mon esprit, je réussis néanmoins à me mettre
sur la pointe des pieds. Les clous me blessaient mais cela n'était
rien comparé à l'impression d'éventration que
je ressentais, au feu qui dévorait ma gorge et ma poitrine.
Ils me laissèrent ainsi le reste de la nuit, comme une volaille
embrochée...
Ils me délivrèrent de bon matin, me hissant par le
cou, repoussant le pal qui sortit de moi avec un bruit horrible
de succion, me laissant tomber sur le sol.
Je restais là, respirant à pleins poumons l'air frais
du matin.
Je n'entendais rien, je ne voyais rien, je ne ressentais rien.
J'étais encore vivante.
On me souleva par les bras, on me mit debout et on me
tondit.
Qu'importe je vivais.
C'est seulement quand ils eurent attaché mes chevilles,
qu'ils m'eurent soulevée la tête en bas, les cuisses
écartelées, que je vis approcher une femme brandissant
une longue cravache de cuir noir que je sortis de la béatitude
dans laquelle je baignais.
Je me souvins alors du jugement...
Je hurlai au premier coup, je hurlai au second, je hurlai, je hurlai.
Comme une damnée, alors que les coups de cravache cisaillaient
mon sexe.
J'ai hurlé sans cesse jusqu'à en perdre la voix,
jusqu'à ce que l'on me décroche et que l'on me jette
dans la benne d'un engin, sur le corps de la religieuse morte.